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Après les révélations des liens entre Uber et Emmanuel Macron, ministre de l’économie,
Yannick Jadot : « Il y a une urgence absolue à séparer l’Etat et les lobbys »
mardi 12 juillet 2022, par - Au fil des jours - Campagne présidentielle 2022
Libération a interviewé Yannick Jadot à propos des révélations sur les liens entre un Emmanuel Macron ministre de l’Economie et une entreprise, Uber, désireuse de s’implanter en France.
Depuis dimanche soir, la gauche tape fort contre Emmanuel Macron. Entre 2014 et 2016, alors qu’il était ministre de l’Economie, l’actuel chef de l’Etat a orchestré, en coulisse, des manœuvres pour obtenir une évolution de la réglementation plus favorable à l’entreprise Uber, championne du VTC. Il est reproché à Emmanuel Macron d’avoir cédé à l’influence du lobby de l’entreprise, qui a aussi livré des amendements clé en main à certains parlementaires.
Yannick Jadot, qui se dresse régulièrement contre le poids des ces groupes, au point d’en avoir fait un thème de sa campagne présidentielle, défend une « grande loi » pour les « séparer » du gouvernement. C’est, selon lui, « l’indépendance de l’Etat » qui est mise à mal par « ce nouveau scandale ».
Les révélations sur l’implication personnelle d’Emmanuel Macron pour favoriser l’implantation d’Uber en France vous choquent-elles ?
Elles me choquent mais elles ne me surprennent pas. On sait combien le quinquennat précédent a été gangrené par les lobbys. Emmanuel Macron a gouverné avec et pour eux.
Ce nouveau scandale constitue une atteinte à l’indépendance de l’Etat. On connaît la place des lobbys de la chasse, des pesticides, des énergies fossiles, du nucléaire ou de la finance ici en France, mais aussi au niveau européen.
Vous proposiez pendant la campagne présidentielle une grande loi de séparation des lobbys et de l’Etat. Vous la remettez aujourd’hui sur la table ?
Absolument. Il y a une urgence absolue. Ce dont on parle, ce n’est pas simplement de connivence ou de complaisance. On parle d’un Etat qui n’est plus ou pas totalement au service de l’intérêt général. C’est aussi la question de la démocratie qui se joue. La privatisation et le détournement de l’Etat sont des éléments de destruction massive de la démocratie. Comment voulez-vous que les Français aient confiance en leurs responsables politiques si le système est gangrené par les puissances d’argent ? Si, malgré les élections, ce sont toujours les intérêts économiques qui gagnent ? J’ai pensé cette loi dans la lignée de 1905, au sens où nous devons reconstruire un Etat libre.
Quel rapport avec la loi de 1905 ?
Ce n’est évidemment pas du même ordre mais l’idée est la même. Ce sont toutes les deux des lois de séparation. A un moment, il faut couper les complaisances, les connivences et les conflits d’intérêts qui sont trop nombreux entre l’Etat et la sphère privée. Bien sûr, ce n’est pas nouveau. Il y a toujours eu de la collusion. Sauf qu’aujourd’hui, l’enrichissement du privé et la prédation exercée au détriment du collectif sont tels, qu’il faut redonner à la puissance publique sa capacité d’agir. Et ce, dans tous les domaines. Avec Emmanuel Macron particulièrement, l’Etat s’est mis au service d’intérêts privés.
N’est-ce pas normal, pour un parlementaire, de rencontrer les acteurs en lien avec le dossier sur lequel il travaille ?
Si, c’est tout à fait normal. Je ne suis pas contre le fait que les élus rencontrent des lobbys. Cela fait partie de leur compréhension du sujet et c’est même la base de leur travail. Si un parlementaire veut bien légiférer, il doit comprendre les différents intérêts en jeu. Ce serait une erreur de ne pas rencontrer les acteurs du monde économique et social. Quand je travaille sur le secteur automobile ou celui de la pêche, je ne rencontre pas seulement les syndicalistes ou les ONG. Le problème ici, c’est un ministre et des députés qui interviennent en toute opacité au profit d’une entreprise qui veut valider des pratiques illégales.
Dès lors, que faut-il faire ?
Il faut un encadrement beaucoup plus fort de l’activité des lobbys. Aujourd’hui, Uber devrait être exclu de tous les registres de lobbys. En France comme au niveau européen. On l’avait obtenu pour Monsanto [le géant américain des pesticides, ndlr] au Parlement européen après les révélations des Monsanto Papers. Les lois écrites par les lobbys, c’est fini.
Ce qui pose problème ici, ce n’est pas avant tout Uber, champion de l’optimisation fiscale et chantre d’un auto-entrepreneuriat défavorable aux droits des travailleurs ?
Non, je tape autant sur EDF, sur le nucléaire, sur les chasseurs qui ont table ouverte à l’Elysée qu’aujourd’hui sur Uber. Quand la cheffe de cabinet du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, se reconvertit en lobbyiste des pesticides et travaille pour l’industrie phytosanitaire, c’est tout simplement inacceptable. Cela dit, Uber a une conception complètement dévoyée des libertés, du droit social et de la juste fiscalité. On ne parle pas d’ubérisation de la société pour rien. Et c’est rarement pour en dire du bien.
Ce n’est pas un peu démagogique de taper sur les lobbys de façon globale, alors que les associations écologistes, les ONG et les syndicats, dont vous êtes plus proches, chuchotent aussi à l’oreille des élus ? Les lobbys, c’est mal quand ça ne va pas dans votre sens ?
Non. Je fais une distinction entre les lobbys qui défendent les intérêts privés et ceux qui défendent l’intérêt général ou une partie de l’intérêt général. Quand Greenpeace défend les océans, elle ne défend pas les dividendes de ses actionnaires.
Un travail a été déjà été fait pour tenter de réduire l’influence des lobbys. Depuis 2017, la loi Sapin II oblige les élus qui rencontrent des entreprises, des ONG ou des lobbys à le mentionner dans un registre tenu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Ce n’est pas suffisant ?
Non, ce n’est pas assez. Il n’y a pas assez de transparence sur les agendas aujourd’hui. Dans le cadre de l’élaboration d’une loi, on devrait pouvoir savoir qui rencontrent nos élus, les directeurs d’administration, les conseillers ministériels. Dans une démocratie un peu avancée, en Allemagne ou dans des pays du Nord, avec des scandales comme celui-ci, les ministres sautent. Malheureusement, en France, il y a une permissivité et un laxisme qui ne servent pas la démocratie.
Le député insoumis Alexis Corbière a proposé ce matin la mise en place d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale. Cela vous semble une réponse adaptée ?
Oui, ce serait utile. Mettre tous les éléments sur la table, comme cela a été fait au Sénat pour l’affaire McKinsey, c’est une bonne chose. Une commission d’enquête a un pouvoir d’investigation très fort.
La Nupes peut-elle parler d’une seule voix contre les lobbys ?
Je n’ai pas de doute là-dessus. On doit se mettre d’accord pour bloquer les lobbys qui pourrissent l’action de l’Etat et qui mettent à mal l’intérêt général. Les écologistes sont très partants pour porter la grande loi de séparation des lobbys et de l’Etat à l’Assemblée. Je m’en réjouis, on va voir si on peut construire une coalition autour de l’intérêt général dans l’hémicycle.
Voyez-vous la Nupes d’un bon œil ?
Elle a permis d’avoir deux fois plus de députés avec autant de voix qu’en 2017. C’est un bon rendement électoral, elle a prouvé son utilité. La Nupes répond incontestablement à une envie et à un besoin d’union. Maintenant, on doit en tirer les leçons. Ça n’a pas permis la victoire.
La faute à qui ? Ou à quoi ?
On n’a pas su faire vivre la diversité des sensibilités au sein de cette coalition. Il aurait fallu aller chercher des électeurs qui ne se sont pas retrouvés dans une personnalisation très forte de la campagne. Il y a un déséquilibre qu’il faut corriger. Quant à l’Assemblée nationale, elle ne peut pas être le lieu de postures et de caricatures. Les Français attendent tellement de la politique pour répondre à leurs difficultés du quotidien et aux défis environnementaux.
Etes-vous en phase avec les élus socialistes qui, ce week-end, ont lancé un appel à la gauche et aux écologistes, exigeant le « dépassement des antagonismes » et l’invention d’un « nouvel espace » ?
Oui, ça va dans le bon sens. Il faut dépasser nos formations politiques. Notre rôle est de gagner pour gouverner. Ce doit être notre boussole absolue. J’apprécie la volonté à la fois de travailler ensemble et de revendiquer la richesse et la vitalité des territoires. Mon logiciel politique c’est d’abord l’écologie, dans le spectre d’une gauche sociale et clairement européenne. Je me retrouve dans la perspective de converger pour gagner.
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